Les médecins baisent comme des chiens

Riri, Fifi et Loulou sont des étudiants exemplaires. Ils vous rangent les bios en moins de temps qu’il faut pour compter trente Mississipi, font les meilleures observs du monde, sont attentifs à ce que disent les seniors, écoutent les patients avec sympathie et compréhension, disent bonjour à tout le personnel soignant, portent des chemises cintrées – pantalons repassés – chaussures à bout pointue.

Riri, Fifi et Loulou sont partis au weekend d’intégration, le WEI. Ils ont montré leur bite à plus de 300 personnes simultanément, ont comparé la taille de leurs couilles durant leur trajet en car, ont beuglé sur des inconnus sur une aire d’autoroute, ont fait des blagues graveleuses, ont chanté des paillardes, ont fait un concours de dégrafage de soutien gorge (Fifi a gagné haut la main, il a plaidé coupable avec un sourire ravageur), ont baisé trois filles différentes sur trois jours, ont vomi plus qu’un petit de trois ans ayant la gastro.

Je ne connaissais que les Rifi, Fifi et Loulou du stage. Bien qu’ayant déjà fait un WEI l’année passée, le contraste m’a encore frappée de plein fouet. Je ne suis pas offusquée, je ne suis pas choquée. Je suis admirative. Je suis admirative devant ce comportement qui permet d’affronter les choses les plus difficiles, les patients qui nous font pleurer quand on rentre chez nous. Laissez moi vous faire comprendre pourquoi.

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L’année dernière, j’étais en stage de sémiologie en réanimation. J’y ai fait mes premiers examens cliniques, mes premiers interrogatoires. J’adorais mon CCA. Il nous disait « ah vous voyez, celui là il faut faire attention, il a une tension de ouf sa mère » ou bien « bon allez les enfants, on va faire un rap pour mémoriser les paires crâniennes ». Il me faisait vraiment beaucoup rire, et me mettait à l’aise.

Puis un jour, première auscultation. Il nous dit « vous allez voir, vous n’allez jamais oublier ». Effectivement, je n’ai jamais oublié, mais pas parce que c’était un magnifique crépitant.

C’était une dame, obèse, plongée dans un profond coma artificiel pour lui permettre de récupérer les forces qu’elle n’avait plus. Elle avait un magnifique tatouage sur le bras droit, une rose rouge sang entrelacée avec une ancre verte. Elle avait un horrible respirateur artificiel qui lui faisait prendre des inspirations forcées. Elle avait un grain de beauté en dessous de son sein gauche. Elle avait une gastrotomie.

Nous sommes en arc de cercle autour du lit. Le CCA soulève la blouse de la patiente, attrape son sein droit comme il attraperait le sel sur la table, colle son stétho en dessous, puis avec un petit air triomphant nous fait signe de venir écouter à notre tour. Un par un, on arrive, on empoigne le sein, colle le stétho en dessous, écoute, lâche le sein et repart. J’ai envie de vomir. Je fais des aller-retours entre le tatouage, le sein qu’on empoigne, la machine qui la fait respirer, le sourire de mon CCA, le stéthoscope, la gastrotomie, le grain de beauté. Putain.

C’est pas censé servir à ça un sein. C’est censé être caressé. Qu’on glisse la main dessus pour toucher la fine peau, le téton en érection. Être regardé avec envie. C’est censé être un objet de désir, être choyé. On le touche par amour, par excitation, on le découvre avec une main tremblante d’impatience, on l’embrasse avec tendresse. On est pas censé le soulever comme on soulèverait n’importe quel machin pour faire n’importe quel truc. Putain.

Et pourtant, cette distance est nécessaire, cette distance nous sauve nous et sauve les patients. Qui pourrait on guérir si on s’attardait sur chaque pénis que l’on voit passer, sur chaque paire de sein mis en valeur dans leur plus simple appareil ? Personne. Cette distance soigne. Cette distance permet de ne pas s’effondrer trop fort quand on doit débrancher la dame au bout d’un moment pour la laisser partir vers d’autres cieux. Oublier que les personnes qu’on soigne sont un peu trop vivantes nous permet de soigner les prochaines. Oublier totalement qu’elles sont vivantes est une erreur, on doit quand même prendre en compte la personne.

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Si vous venez à une soirée médecine, vous serez probablement choqués par la crue-té (non pas la cruauté, mais la façon dont les personnes sont crues, j’invente des mots si je veux) des personnes présentes. Tout le monde embrasse n’importe qui, n’importe qui danse contre tout le monde. J’ai déjà vu une fille faire une fellation à son copain en plein milieu de la salle de danse, c’est dire.

Ce que vous voyez, ce ne sont pas que des jeunes dévergondés. Ce sont des êtres célébrant la vie, qui voient tous les jours des corps décharnés, malades, fatigués à l’hôpital. Ce sont des êtres charnels baisant, léchant, buvant, suçant. Ce sont des êtres qui vivent pour tout ceux qui ne le peuvent plus, qui affrontent la tempête de la maladie avec leur vaisseau de chaire et d’os.

Note : titre tiré de la paillarde éponyme, « Les médecins baisent comme des chiens »

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