La peur des médecins

Comme j’en ai parlé précédemment, je suis malade. Enfin, je préfère dire je suis une malade. Je suis malade ça a un petit côté « je suis Charlie » et j’ai l’impression de ne me définir plus que par ma maladie. Des fois à l’hôpital, j’entends des docteurs « t’es allé voir l’invagination ? Elle va bien ? » pour parler de la patiente de 6 mois de la chambre quatre qui a un nom, un vrai, mais qui se trouve avoir actuellement une invagination.

Il n’y a pas longtemps je suis allée à ma consultation de contrôle. Long story short, les médicaments ne marchent pas, rien n’est contrôlé. Elle me demande comment je vais. Je me paralyse.

J’ai peur de me plaindre. J’ai peur d’être ce genre de patient chiant très angoissé qui pose plein de questions et se met à pleurer en consultation. J’ai tellement mal que je ne sais comment le décrire. Du coup, je lui dis que ça ne va pas avec le sourire. Elle me sourit aussi et on passe à autre chose. A la seconde où la porte du cabinet se referme derrière moi, je m’effondre en larmes. Je n’ai rien dit de ce que je voulais dire. C’est stupide, 6 mois que j’attends ce rendez vous et je n’ai pas réussi à m’exprimer, de peur qu’elle me trouve ennuyante et qu’elle bâcle ma consultation.

Je n’ai jamais trouvé les patients angoissés chiants, ni ceux qui pleuraient, ni personne d’ailleurs. Qui sommes-nous pour juger de la capacité de quelqu’un à vivre sa maladie ? Chacun fait comme il peut, avec ses mécanismes de défense. Mais voilà, je suis patiente et étudiante en médecine. Et en tant qu’étudiante, j’en ai vu des consultations où le médecin me disait « attention, la prochaine personne elle me gonfle, mais elle me gonfle… » Et je le voyais utiliser le sarcasme pendant toute la consultation sans que le patient s’en rende compte.

Un jour, en orthopédie, un chirurgien que je respectais énormément travaillais sur deux blocs. Le temps que l’opération du bloc 1 se termine, le patient du bloc 2 était préparé, endormi, placé, lavé ce qu’il fait qu’il n’avait plus qu’à inciser une fois arrivé. Gain de temps maximal. Ce jour là donc, l’anesthésiste du bloc 2 vient nous voir : « la patiente a peur, elle voudrait que vous la rassuriez avant d’être endormie ». Le chirurgien fait tomber l’instrument qu’il tenait par terre. Non en fait j’ai mal vu, il l’a jeté. « J’en ai marre de ces névrosés de merde. Vous lui dites que soit elle se fait endormir, soit elle remonte et je l’opère dans six mois après qu’elle ait fait une thérapie avec un psychiatre. Je veux plus en entendre parler, je vais pas décaler mon planning pour une vieille conne. » Cette vieille conne, 86 ans, était parfaitement conscience des risques de l’opération pour une dame de son âge. C’est vraiment si difficile que ça de décaler son planning d’un quart heure pour rassurer quelqu’un ? Autant vous dire que ce médecin a perdu mon respect.

J’en ai des kilos et des kilos des histoires à vous faire perdre le sommeil de maltraitance de patients. Il faut que nous, médecins, arrêtions de nous penser au dessus des autres parce que nous détenons un certain type de savoir. Nous ne sommes pas des sur-êtres à qui le monde doit respect et servilité. Nous aidons des patients, pas des clients. J’entends énormément du personnel du corps médical qui se plaignent que les patients pensent que comme ils ont payé, ils ont le droit à tout, qu’on doit forcément leur prescrire quelque chose, faire un acte. Mais ils se comportent comme des vendeurs, à choisir ainsi leur clientèle, à les considérer comme faisant partie de leur emploi du temps et vu que c’est prévu comme ça, si le patient a besoin de réassurance il peut aller chez un autre vendeur.

Vous me demanderez peut être, est-ce que cela fait une différence d’être aimé ou non de son docteur ? Peut-être pas. Au final, vous allez recevoir le même traitement que le patient préféré de ce médecin. Mais ce que vous allez rater, c’est toute l’attention du médecin quand vous lui confiez un symptôme ou un effet secondaire du médecin. C’est son empathie. Et ce genre de « petits détails » peuvent faire une grande différence. On dit souvent que les gens atteints d’un cancer qui ont envie de vivre et qui sont bien entourés ont un meilleur pronostic que les gens qui n’ont plus la force de se battre. Un médecin doit vous donner la force de vous battre, ou tout du moins essayer de vous la donner. Et quiconque ferait autrement avec vous, doit vous faire changer de docteur. Vous méritez mieux.

Je suis énervée de voir des patients maltraités. Je suis énervée d’avoir peur et de me maltraiter moi même en consultation, par peur d’être maltraitée par le médecin. J’espère que la prochaine fois j’arriverais à pleurer car j’en ai le droit. J’espère que la prochaine fois j’arriverais à être angoissée car j’en ai le droit. J’espère que personne ne s’interdit de faire ça, car un médecin est justement là pour nous aider à traverser ces angoisses liées à la maladie.

J’en ai marre d’avoir peur.

18 réflexions sur “La peur des médecins

  1. Quel magnifique article, très émouvant… j’espère que tu vas « bien » malgré tout (c’est très maladroit comme formule mais je pense que tu m’as comprise) …. en tout cas le respect, l’empathie que tu as envers les patients est juste magnifique et je trouve ça tellement triste que tu te sois bridée pour ne pas craquer devant le médecin. Je pense que tu en as le droit, qu’on en a tous le droit. Bon courage pour tout ❤️

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    • Je t’ai comprise ne t’inquiète pas 🙂
      Oui je vais bien. C’est marrant, parce que récemment des amis à moi ont compris que ma maladie n’était absolument pas maitrisée et m’ont demandé pourquoi je répondais que j’allais bien chaque fois qu’on me le demandait. Parce qu’en dehors de ça, tout va vraiment très bien ! Et je refuse de laisser ma maladie me définir ^^
      Merci pour ton si gentil commentaire, j’espère que je réussirais la prochaine fois à me laisser aller 🙂

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  2. Bonjour.
    Comment vas tu ?
    Il me semble que c’est dans de nombreux domaines que les gens n’écoutent pas mais c’est moins grave pour une coupe de cheveux que pour sa santé.
    En tant que patiente pénible, je fais une liste avant de me rendre chez mon médecin.
    Au moins je vais à la consultation l’esprit léger.
    Prends soin de toi, je t’embrasse.

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    • Bonjour !
      Je vais bien. Je vais super bien en dehors de ça, et j’essaye de ne pas laisser les choses m’envahir, de compartimenter pour avancer.
      Les listes ça aide effectivement, mais souvent les consultations dévient car le médecin a aussi des questions à poser et on s’éloigne progressivement de ce que le patient voulait dire… (que ce soit pour moi ou pour les autres)
      Merci beaucoup et bonne journée 🙂

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  3. Tu as le droit de pleurer, d’avoir peur et de le dire. Ce qu’en pense secrètement le médecin, entre nous, on s’en fout. S’il peut t’apporter des réponses, il t’en apportera, s’il peut apaiser tout ça, il le fera. Comme il le peut, parce que ce n’est pas donné à tout le monde ces choses là, mais il le fera. Et c’est tout ce qui compte.

    Et puis, et puis, les médecins qui n’en ont rien à cirer, ça ne court pas toutes les rues… Il y en a, certes… suffit de passer son chemin et d’attraper d’autres mains tendues.

    Hold on ❤

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    • Merci, tes commentaires sont toujours géniaux 🙂
      J’espère que tu as réussi à démêler un peu ta situation depuis ton dernier article (je viens juste de voir que tu en avais posté un !) Tu as réussi à trouver un autre service où postuler ? Je suis désolée que tu aies fini par avoir le dégoût de ce métier, j’espère que tu arriveras à trouver des conditions de travail qui te conviendront 🙂 (je ne sais pas où tu habites mais par chez moi, j’ai vu plusieurs équipes d’infirmiers épanouies 🙂 )

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      • Je pense qu’il faut vraiment dire les choses telles qu’elles sont, sans fard et sans honte. C’est comme ça que j’ai réussi à créer une très chouette relation patient/soignant avec un médecin qui me suivait il y a peu. Je suis devenue « partenaire » de soin, très vite, et non plus patiente, je dirais, « passive » (???). Je ne voulais plus de cette place là, qui ne m’avait finalement jamais rien apporté de bien constructif en terme de soin ou de prise en charge. J’avais besoin d’avancer d’une autre manière et la relation s’est construite sur ce mode. Ca n’avait jamais été possible avant, avec aucun soignant. Si jamais ça peut t’aider…

        C’est pas le métier qui me dégoûte, mais ce qu’il est en train de devenir et l’hôpital avec lui, sur injonctions manageriales. On a eu 2 suicides en 15 jours l’été dernier, dont un dans le service où je terminais mon dernier stage infirmier. On est loin de l’épanouissement… Mais j’y crois ! J’en ai croisé quelques uns aussi 🙂 Pour le service où postuler, je ne cherche plus, je me suis mise en interim, j’ai le choix des missions, surtout celui de dire non. Pour la suite on pense surtout à s’expatrier 🙂

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  4. Ton témoignage et ta franchise me touchent énormément. Je comprends ta peur pour l’avoir vue chez ma Moitié avant sa première opération de la cataracte. Sur le coup, son ophtalmologue ne l’a pas pris au sérieux « Monsieur, vous vous faites des films, une simple anesthésie locale suffira! »… Sauf qu’avant l’opération, l’infirmière ne parvenait pas à faire entrer l’aiguille dans sa veine tellement il était angoissé, et que pendant l’opération le médecin a fini par comprendre qu’il lui fallait une sédation beaucoup plus forte car il bougeait malgré lui. Alors, cinq ans plus tard, pour l’opération du deuxième œil, il ne l’a pas pris de haut, et a même essayé de lui trouver un anesthésiste compréhensif. Je lui ai été reconnaissante de ce changement d’attitude. En tant que patient, on ne contrôle pas ses angoisses. On devient vulnérable et on confie ce qu’on a de plus précieux à quelqu’un avec qui on n’a pas forcément construit de relation au préalable. L’écoute est très importante. C’est comme dans un couple. Attention, parfois avec le temps un médecin qui vous connaît bien oublie d’écouter… comme dans un couple. C’est d’ailleurs la maxime de notre généraliste « Le médecin forme avec son patient un couple. » (J’ai oublié le reste de la maxime)
    Je suis sûre que toi, pour être actuellement du côté « patient », saura faire ce qu’il faut pour libérer la parole de tes malades avant d’établir un diagnostic et de les soigner.
    Je te souhaite de guérir rapidement. Prends bien soin de toi.

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    • Merci pour ton commentaire, il m’a énormément touché.
      C’est vraiment bien que le chirurgien de ton mari, même s’il lui a fallu du temps, ait pu rectifier le tir et lui donner la bonne sédation ! J’aime beaucoup la maxime de ton généraliste, elle est extrêmement vraie 🙂
      C’est sûr que passer du côté « patient » ça permet de voir certaines choses que je n’aurais jamais vues,jamais comprises sans cela… C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose 🙂
      Merci beaucoup 🙂 Malheureusement ce n’est pas une maladie dont on peut guérir, simplement que l’on peut contrôler si l’on y parvient ^^

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  5. Il est triste, ton texte. J’admire ta capacité à garder ta simplicité positive (désolée, j’ai pas trouvé d’autres termes pour décrire cela, « simplicité », ça sous-entend parfois légèreté, mais chez toi, c’est plus profond que ça, on sent qu’il y a vraiment quelque chose de solide et d’ancré derrière) face au cynisme de certains. ça m’intrigue même.
    Personnellement, quand je vois quelqu’un agir d’une manière que j’estime « néfaste » pour autrui, d’autant plus quand il s’agit d’un professionnel et qu’une personne en situation de faiblesse (comme un patient) est concerné, je suis du genre à sentir une colère déraisonnée m’envahir, et cela ne résout rien. Alors dans ces moments, je m’inspire des gens comme toi, qui paraissent avoir gravi un degré de sagesse supplémentaire, et qui semblent aborder les choses de manière posée et réfléchie, car je crois que c’est le mieux à faire.
    Mais rien qu’à la lecture de ton texte, je bous intérieurement. Cela me rappelle l’article « Soign-enragé » de Litthérapeute.

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    • Merci pour ton commentaire il m’a mis les larmes aux yeux… merci pour tous ces beaux compliments 🙂 J’essaye effectivement de rester la plus simple possible face aux patients, face à leur maladie, face à ma maladie. Tout est déjà tellement compliqué, on a pas besoin d’en rajouter une coucher. Prendre les problèmes les uns après les autres, ne pas prendre les gens de haut, prendre son temps, ne pas prendre ses jambes à son cou à la première difficulté.
      Ca vient avec le temps ne t’inquiète pas, avant je « boudais » les gens quand je considérais qu’ils avaient fait quelque chose d’injuste selon moi (pas forcément envers moi, injuste tout court). Maintenant j’essaye de comprendre pourquoi ils agissent comme ça pour désarmorcer le mécanisme en amont, voir le moment où ils vont craquer et leur proposer de faire moi même la tâche qui les emm**de comme ça tout le monde est content ^^
      J’aime beaucoup la phrase « faites partie de la solution plutôt que du problème ». Même si elle n’est pas évidente à appliquer et que parfois il faut prendre sur soi, ça marche généralement plutôt bien !
      Passe une bonne journée !

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      • Je m’attendais pas à cela, je suis émue que mon commentaire t’ait émue 🙂

        J’aimerais continuer sur le fait de se comporter de manière bienveillante même face aux cynisme, car c’est quelque chose sur lequel je bloque encore un peu. ça paraît simple quand tu le décris, mais j’imagine que c’est le produit d’un vrai travail sur soi, de beaucoup d’énergie, de recherche d’inspiration morale ou spirituelle, peut-être.
        Je me dis souvent qu’il faut toujours penser aux personnes qui se comportent « mieux » que nous plutôt qu’à celles qui se comportent « moins bien » (selon notre échelle de valeur, tout ceci est très subjectif, bien entendu). S’inspirer des gens altruistes, généreux, courageux etc et prêter moins d’attention à l’égoïsme, la violence, la lâcheté. C’est une des « solutions » que j’ai trouvée. En agissant de la sorte, j’arrive à augmenter ma volonté à agir bien.
        De même, lorsqu’il y a un être humain en jeu, je me dis : »Qu’est-ce qui à ce moment précis, peut faire en sorte qu’il se sente mieux, malgré la colère personnelle que je ressens par rapport à l’attitude de telle autre personne. » Comme tu dis, il faut prendre sur soi.

        Mais j’ai aussi des « barrières » à cette capacité à « agir bien » :
        Quand on prend sur soi trop longtemps, on peut finir par craquer, s’épuiser, et donc être moins à l’écoute. Et parfois, je me dis que tout cela est vain : plus on essaye d’agir d’une manière qu’on estime « bien », plus ça demande de l’investissement dans ses convictions, plus ça nous éloigne de ceux qui ne les ont pas, moins on comprends qu’ils ne fassent pas d’effort alors qu’on s’épuise à la tâche, et moins on est tolérant.
        J’ai l’impression pourtant que pour certains, le fait de bien agir se suffit à lui-même, comme si c’était pourvu d’une énergie indépendante.
        Je me pose beaucoup de questions sur ce qu’est l’altruisme en ce moment, surtout que c’est un sujet sur lequel on travaille un peu en psychologie. Est-ce possible de se comporter le mieux possible de manière totalement gratuite ? Et si cela est le cas, c’est donc qu’on s’oblige à le faire, alors comment supporter le fait que d’autres ne le fassent pas ?

        Je ne sais pas si ça vient avec le temps. J’espère pouvoir augmenter ça en tous cas. Mais je rebondis sur cette partie là de ton commentaire parce qu’avec le temps, il me semble que je me sens moins naturellement agressée par les autres. Par exemple, si quelqu’un me parle de manière désagréable, je vais moins me dire : »Il ne m’aime pas/ne me respecte pas. » mais plutôt « Il a l’air gêné par le fait que j’ai agi de telle sorte. Pourquoi ? » Et il me semble même que je perçois de plus en plus la sensibilité de chacun, et des masques divers dont elle se revêtit. Peut-être que c’est tout simplement l’autre qui nous fournit l’énergie nécessaire à l’altruisme ? La beauté de l’être humain ?
        Je laisse la question en suspens 🙂
        Bon courage pour puiser l’énergie dont tu as besoin pour tes patients et pour toi même !

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  6. Pingback: La peur des médecins – Le monde de Sophie

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