Nina-chan

Elle était là, attachée à son lit. Elle était à demi assise, entravée à chaque membre par des liens de contention. Elle est couverte de bleus, une plaie sous son menton saigne encore. L’interne m’avait prévenue qu’elle ressemblait à la fille dans The Grudge, toute pâle, des longs cheveux raides noirs geai et une chemise blanche. C’était pas faux. Au début, je pensais qu’elle regardait fixement devant elle mais en fait elle était juste ailleurs. C’était comme si son esprit s’était absenté de son corps.

On commence à lui poser des questions avec ma co-externe. On commence toujours par simple.

 » Comment ça va ?
– Ca va.
– Vous avez bien dormi ?
– Bien dormi.
– Vous avez mal quelque part ?
– Mal quelque part.
– Où avez vous mal ?
– Avez vous mal.
– Aux bras ? Aux jambes ?
– Aux jambes.
– Vous avez mal aux jambes ?
– Aux jambes.
– Mademoiselle, vous me comprenez ?
– Me comprenez. »

Cinq minutes pour se rentre compte que c’était de l’écholalie, c’est-à-dire qu’elle répétait nos fins de phrases pour nous répondre. Elle comprenait ce qu’on lui disait, mais était incapable de faire des phrases par elle-même. On a tout de même réussi à lui faire lire le « Externe » marqué sur notre badge, mais pas à lui faire dire son propre prénom sans qu’on lui dise juste avant.

On lui libère une main pour voir si elle arrive à exécuter certains gestes seule ou sur ordre. Je déteste quand les patients sont attachés. Je sais très bien que c’est pour leur propre bien, qu’ils se blessent sinon, mais de voir cette jeune fille de 19 ans, toute perdue dans le vide, retenue ça me serre le cœur. Le plus horrible, c’est de devoir les rattacher après alors qu’ils se débattent plus ou moins vigoureusement.

Elle parvient à toucher son oreille, nous montrer son nez, faire un pouce bien joué, le V de la victoire et même à lisser son sourcil. On la rattache, malgré ses (faibles) protestations. A certains moments, j’avais l’impression qu’elle faisait exprès de faire le geste lentement pour faire durer le moment où sa main droite était libre.

Elle peut faire la grimace sur ordre, tirer la langue, ferme les yeux et sourire de toutes ses dents. Elle nous suit du regard, nous suit de ses jolis yeux noisettes. Elle tremble beaucoup et des fois même elle s’arqueboute. D’où le fait qu’on la compare avec une possédée.

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Une heure après, nous revenons avec le CCA et l’interne. Nous la retrouvons complètement éteinte. Elle ne répète plus aucun mot et tremble de plus en plus. On dirait quand on le regarde que son esprit est dans la brume, dans une espèce de purée de poix et qu’elle n’arrive pas à s’en sortir.

A visée diagnostique, nous décidons de faire une ponction lombaire, ce qui consiste à prélever le liquide céphalo-rachidien produit par les méninges pour détecter d’éventuelles anomalies. Le patient doit alors s’asseoir avec le dos le plus rond possible, pour laisser passer l’aiguille entre les vertèbres lombaires.

Je l’aide à tenir la position avec une infirmière. Elle est courageuse, elle comprend qui ne faut pas bouger mais ne peut s’empêcher de trembler. On est à mi-chemin quand je sens sa main qui cherche la mienne. Je n’ai jamais fait ça mais je m’en fous. Je la lui prends et la serre avec douceur. Elle me la serre en retour. L’infirmière lui caresse les cheveux pour l’apaiser. Elle arrête progressivement de bouger, et on la sent se relâcher.

La PL est finie, on la rallonge et on la rattache. Elle semble totalement vidée, totalement perdue. Je jette un dernier regard et ça me frappe. Elle ne fait absolument pas penser à The Grudge. Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus auparavant, mais je viens de trouver. Elle me fait penser à Full Metal Alchemist, mon manga et anime préféré. Elle me fait penser à Nina. Cette pensée me frappe avec horreur mais elle a le même regard perdu que j’imaginais à Nina, la petite fille que son père a transformé en chimère en la croisant avec son chien. Elle est aussi perdue qu’elle.

On va essayer d’empêcher Scar de venir l’achever pendant la nuit mais je ne vous promets rien.