Embryon médical

C’est mon père qui m’a appelée comme ça.

C’était le jour où j’ai appris que j’avais eu ma PACES, la Première Année Commune aux Etudes de Santé. Mon père, c’est le genre de personne qui pense qu’on motive plus les gens en leur montrant leurs erreurs plutôt qu’en les félicitant pour ce qu’ils ont déjà fait, qui pense que les échecs sont plus importants que les victoires, qui pense que le verre est plutôt à moitié vide qu’à moitié plein. Je ne suis pas là pour une psychothérapie, ni vous d’ailleurs, je vous pose juste le contexte, ou plutôt comme on dit dans le jargon je fais les antécédents.

Mon père donc, médecin de son état, me félicite pour la première fois de ma vie. Ah. Je n’ai pas trop l’habitude, je ne sais pas comment prendre la chose. Heureusement, il enchaîne directement avec son histoire d’embryon médical.

« Bienvenue dans le monde de la médecine, ma fille. Souviens toi que tu n’es rien. Tu ne sais rien. Et tu ne commenceras à saisir le sens de ce que tu fais vraiment que dans une dizaine d’années. Quand tu vas arriver à l’hôpital, tu seras encore moins que ce que je viens de te dire. Même la serveuse du Relais Hospitalier en sait plus que toi sur les patients à force de les voir déambuler. Les Parkinson, les cardiaques, les psychiatriques, les familles, les vivants, les morts.

« Tu n’es qu’un embryon médical, à peine implanté dans l’endomètre de ta mère. Non seulement tu n’apportes rien, mais en plus tu prends les ressources de ton environnement pour grandir, pour apprendre. Regarde moi. Tu vas pomper l’air de tout le monde. Tu vas être chiante. Ils se diront « Pfff. Encore un bébé médecin qui ne sait rien, même pas ranger des bios à qui il va falloir tout apprendre. Encore un qui ne dira plus bonjour dès qu’il considérera qu’il aura appris tout ce qu’il peut de nous et qui ne nous parlera que pour nous demander des bilans sanguins. Encore un. » Tu n’es pas spéciale. Pour le moment tu ne vaux rien. A toi de gagner ta valeur. Traite les gens avec humanité, patients comme soignants.

« Tu n’es pas meilleure que les autres parce que tu es arrivée dans les quinze premiers putain de pourcents d’un putain de concours. Tu ne sais qu’apprendre par coeur et cocher des QCMs. Ce n’est pas ça la médecine. Et c’est à toi, petit embryon, de l’apprendre, la vraie médecine. Tu vas l’apprendre avec tes tripes, avec ton cœur, avec ta tête. Il te reste un long chemin à parcourir avant de devenir ne serait-ce qu’un fœtus. »

Alors voilà, bonjour, je suis un embryon médical et je suis là pour apprendre. Enchantée.