Cent quatre-vingt virgule deux kilogrammes. C’est le poids de mademoiselle W. Ces cent quatre-vingt virgule deux kilogrammes sont si imposants qu’ils méritent d’être écrits en toutes lettres, pour prendre toute la largeur de la page comme elle prend la largeur du couloir.
Elle me regarde en souriant avant de me dire « Vous savez, je ne suis pas toujours comme ça. C’est juste que des fois, je mange. Et des fois je ne mange pas. J’ai une amplitude de quatre-vingt kilos. J’ai une amplitude d’une personne. Vous vous rendez compte ? Je peux perdre une personne à moi toute seule et être toujours vivante. Ce n’est pas tous les jours que vous croisez quelqu’un qui peut faire ça non ? Vous pesez combien vous ? »
Mademoiselle W. a besoin d’une permission, c’est-à-dire une autorisation de sortie l’autorisant en bonne et due forme à partir en vadrouille pour une durée limitée. Permission de 18h30, princesse, sinon ton carrosse se transforme en citrouille et ta liberté en Loxapac. Déjà que la dernière fois tu es rentrée à une heure du matin… Aujourd’hui, elle a une très bonne raison de vouloir sortir :
« Je vais voir un garçon. C’est un premier rendez-vous amoureux. Bon par contre, je ne vais pas lui dire que je suis hospitalisée en psychiatrie. Je vais mettre des manches longues pour cacher le bracelet. Je vais lui dire… Que j’étais occupée ces derniers temps. C’est parfait non, comme ça, ça donne un air mystérieux. Vous en pensez quoi docteur ? »
Du bien, que du bien ! Cela fait tellement plaisir de la voir sourire et prévoir comme ça, elle qui hier encore avait envie de se taper la tête contre les murs pour s’enlever neurone par neurone sa réalité trop dure à supporter.
Le lendemain, mademoiselle W. pèse cent quatre-vingt deux virgule trois kilogrammes. « Ce connard de mes deux m’a amenée au macdo. Qui emmène une fille au macdo pour un premier rendez-vous hein ? Mais quel connard. Après, il m’a emmenée faire ses courses à Auchan. Non mais vous vous rendez compte ? Du coup j’ai mangé. Connard, va. »