Plus deux virgule un kilos, c’est la faute au macdo

Cent quatre-vingt virgule deux kilogrammes. C’est le poids de mademoiselle W. Ces cent quatre-vingt virgule deux kilogrammes sont si imposants qu’ils méritent d’être écrits en toutes lettres, pour prendre toute la largeur de la page comme elle prend la largeur du couloir.

Elle me regarde en souriant avant de me dire « Vous savez, je ne suis pas toujours comme ça. C’est juste que des fois, je mange. Et des fois je ne mange pas. J’ai une amplitude de quatre-vingt kilos. J’ai une amplitude d’une personne. Vous vous rendez compte ? Je peux perdre une personne à moi toute seule et être toujours vivante. Ce n’est pas tous les jours que vous croisez quelqu’un qui peut faire ça non ? Vous pesez combien vous ? »

Mademoiselle W. a besoin d’une permission, c’est-à-dire une autorisation de sortie l’autorisant en bonne et due forme à partir en vadrouille pour une durée limitée. Permission de 18h30, princesse, sinon ton carrosse se transforme en citrouille et ta liberté en Loxapac. Déjà que la dernière fois tu es rentrée à une heure du matin… Aujourd’hui, elle a une très bonne raison de vouloir sortir :

« Je vais voir un garçon. C’est un premier rendez-vous amoureux. Bon par contre, je ne vais pas lui dire que je suis hospitalisée en psychiatrie. Je vais mettre des manches longues pour cacher le bracelet. Je vais lui dire… Que j’étais occupée ces derniers temps. C’est parfait non, comme ça, ça donne un air mystérieux. Vous en pensez quoi docteur ? »

Du bien, que du bien ! Cela fait tellement plaisir de la voir sourire et prévoir comme ça, elle qui hier encore avait envie de se taper la tête contre les murs pour s’enlever neurone par neurone sa réalité trop dure à supporter.

Le lendemain, mademoiselle W. pèse cent quatre-vingt deux virgule trois kilogrammes. « Ce connard de mes deux m’a amenée au macdo. Qui emmène une fille au macdo pour un premier rendez-vous hein ? Mais quel connard. Après, il m’a emmenée faire ses courses à Auchan. Non mais vous vous rendez compte ? Du coup j’ai mangé.  Connard, va. »

Mots de patients alcooliques

« Mais j’y ai bien pensé à tout ça et… Si je ne bois plus d’alcool, comment je vais faire pour manger des huîtres ? Je ne peux pas manger d’huîtres sans vin blanc. Vous voyez bien que je ne peux pas arrêter de boire. »

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« Vous savez docteur, dans la vie il y a deux solutions pour être heureux : avancer et passer à autre chose ou payer 3€80.
– C’est le prix d’une bouteille d’alcool ?
– Non, d’une balle pour mon fusil. »
(NB : ce patient va bien aujourd’hui, c’était juste un moment de passage à vide)

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« Non non, je n’ai pas bu depuis décembre.
– Vous avez bu de la bière tous les jours, tout de même.
– De la bière ? Mais docteur, l’alcool, ça commence à partir de 60°, je suis écossais moi. »

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« Qu’est-ce qui vous empêche de bouger du lit ?
– La plus grande inertie possible. Ma vie sans alcool.  »

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« Docteur, est-ce que vous auriez un cachet pour me faire voir la vie en rose ? »

At worst I feel bad for a while, but then I just smile I go ahead and smile

Aujourd’hui, c’est psychiatrie.

Monsieur M., personnalité borderline, rentre de permission. Il a passé le weekend chez lui et nous raconte avec fierté que même si Mary Poppins n’est pas là, il a réussi à faire la vaisselle tout seul. Bon d’accord, pas toute la vaisselle, mais la vaisselle quand même. Mary Poppins, c’est sa femme car d’après ce qu’il nous raconte, elle est géniale et sait tout faire, dont la vaisselle et gérer son mari dans n’importe quelle situation.

Il est là suite à une tentative de suicide (TS). Il nous a accueilli dans son long peignoir rose, et des lunettes à la Woostock avec des verres fumés violets. Il aurait pu avoir une couronne de pâquerettes sur la tête et nous annoncer qu’il allait au festival Coachella, ça ne m’aurait pas surprise.

Comme ça fait un bout de temps qu’il est là, Monsieur M. a investi la chambre au grand dam de son voisin, qui aurait bien aimé avoir quelqu’un d’un peu plus… « différent » selon ses dires. « Enfin vous voyez quoi », en nous désignant avec désespoir le magma coloré que sont les affaires de monsieur M.

Au dessus de son lit, monsieur M. a accroché une petite plaque de métal. Je l’ai vue, et elle m’a fait sourire jusqu’aux dents. Monsieur M. m’a vue et m’a souri aussi. Le voisin de monsieur M. m’a vue et m’a jeté un regard signifiant qu’il aurait préféré tout sauf être là. Je lui ai souri quand même à lui aussi.

J’adore l’humour des patients. On a beau avoir envie de se tuer et peur de faire la vaisselle, l’humour est toujours là. Toujours.

I smile because I have no idea what's going on

La dite plaque de métal

Nina-chan

Elle était là, attachée à son lit. Elle était à demi assise, entravée à chaque membre par des liens de contention. Elle est couverte de bleus, une plaie sous son menton saigne encore. L’interne m’avait prévenue qu’elle ressemblait à la fille dans The Grudge, toute pâle, des longs cheveux raides noirs geai et une chemise blanche. C’était pas faux. Au début, je pensais qu’elle regardait fixement devant elle mais en fait elle était juste ailleurs. C’était comme si son esprit s’était absenté de son corps.

On commence à lui poser des questions avec ma co-externe. On commence toujours par simple.

 » Comment ça va ?
– Ca va.
– Vous avez bien dormi ?
– Bien dormi.
– Vous avez mal quelque part ?
– Mal quelque part.
– Où avez vous mal ?
– Avez vous mal.
– Aux bras ? Aux jambes ?
– Aux jambes.
– Vous avez mal aux jambes ?
– Aux jambes.
– Mademoiselle, vous me comprenez ?
– Me comprenez. »

Cinq minutes pour se rentre compte que c’était de l’écholalie, c’est-à-dire qu’elle répétait nos fins de phrases pour nous répondre. Elle comprenait ce qu’on lui disait, mais était incapable de faire des phrases par elle-même. On a tout de même réussi à lui faire lire le « Externe » marqué sur notre badge, mais pas à lui faire dire son propre prénom sans qu’on lui dise juste avant.

On lui libère une main pour voir si elle arrive à exécuter certains gestes seule ou sur ordre. Je déteste quand les patients sont attachés. Je sais très bien que c’est pour leur propre bien, qu’ils se blessent sinon, mais de voir cette jeune fille de 19 ans, toute perdue dans le vide, retenue ça me serre le cœur. Le plus horrible, c’est de devoir les rattacher après alors qu’ils se débattent plus ou moins vigoureusement.

Elle parvient à toucher son oreille, nous montrer son nez, faire un pouce bien joué, le V de la victoire et même à lisser son sourcil. On la rattache, malgré ses (faibles) protestations. A certains moments, j’avais l’impression qu’elle faisait exprès de faire le geste lentement pour faire durer le moment où sa main droite était libre.

Elle peut faire la grimace sur ordre, tirer la langue, ferme les yeux et sourire de toutes ses dents. Elle nous suit du regard, nous suit de ses jolis yeux noisettes. Elle tremble beaucoup et des fois même elle s’arqueboute. D’où le fait qu’on la compare avec une possédée.

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Une heure après, nous revenons avec le CCA et l’interne. Nous la retrouvons complètement éteinte. Elle ne répète plus aucun mot et tremble de plus en plus. On dirait quand on le regarde que son esprit est dans la brume, dans une espèce de purée de poix et qu’elle n’arrive pas à s’en sortir.

A visée diagnostique, nous décidons de faire une ponction lombaire, ce qui consiste à prélever le liquide céphalo-rachidien produit par les méninges pour détecter d’éventuelles anomalies. Le patient doit alors s’asseoir avec le dos le plus rond possible, pour laisser passer l’aiguille entre les vertèbres lombaires.

Je l’aide à tenir la position avec une infirmière. Elle est courageuse, elle comprend qui ne faut pas bouger mais ne peut s’empêcher de trembler. On est à mi-chemin quand je sens sa main qui cherche la mienne. Je n’ai jamais fait ça mais je m’en fous. Je la lui prends et la serre avec douceur. Elle me la serre en retour. L’infirmière lui caresse les cheveux pour l’apaiser. Elle arrête progressivement de bouger, et on la sent se relâcher.

La PL est finie, on la rallonge et on la rattache. Elle semble totalement vidée, totalement perdue. Je jette un dernier regard et ça me frappe. Elle ne fait absolument pas penser à The Grudge. Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus auparavant, mais je viens de trouver. Elle me fait penser à Full Metal Alchemist, mon manga et anime préféré. Elle me fait penser à Nina. Cette pensée me frappe avec horreur mais elle a le même regard perdu que j’imaginais à Nina, la petite fille que son père a transformé en chimère en la croisant avec son chien. Elle est aussi perdue qu’elle.

On va essayer d’empêcher Scar de venir l’achever pendant la nuit mais je ne vous promets rien.

Traduction patient-soignant

Avant d’examiner un patient et de l’interroger en détail sur le comment du pourquoi de ce qui l’amène ici, on essaye de faire une chronologie de tous les évènements médicaux qui ont pu lui arriver auparavant. Il peut n’y avoir strictement rien comme une liste plus longue que votre bras. Le plus difficile, c’est de comprendre ce que le patient a vécu, car il s’exprime avec ses propres mots, avec son vécu ; à nous de faire la traduction tant bien que mal. Cette étape est très importante car peut être que toutes les maladies qu’il a eues ne veulent « rien dire » séparément, mais ensemble forme un syndrome ce qui changerait complètement la prise en charge du malade.

Il y avait cet homme. Il avait un tee shirt avec des filles en bikini en train de s’enlacer au bord de l’eau avec marqué dessus « Wet girls are the best ». Ambiance. On arrive aux fameux antécédents. Comme d’habitude, il commence à me dire comme tous les patients « Moi ? Non non, j’ai jamais rien eu ». Sauf peut-être deux opérations de l’épaule, des entorses à répétition, un lipome, un accident de la voie publique, des brûlures et une prothèse oculaire. Mais ça, non, c’est rien sinon, ça compte pas. D’où l’intérêt de poser vraiment beaucoup de question, au risque de paraître lourd. Et puis soudain il me dit :

« Ah et une fois aussi, un caillou m’a empêché de respirer.
– Vous voulez dire que vous vous êtes étouffés avec une pierre ?
– Non pas ça.
– Vous avez avalé de travers ?
– Non non, j’avais un caillou et je pouvais plus respirer.
– Que genre de caillou ? Vous avez avalé du gravier en tombant quelque part ?
– Ben non je vous ai dit.
[là c’est le moment précis où vous vous sentez vraiment con, ça a l’air tellement évident pour lui alors que vous vous sentez un peu comme si vous étiez Jar-Jar Binks « Missa pas comprendre voussa »]
– Il était où votre caillou ?
– Là [il me montre son ventre]
– Vous aviez un caillou dans votre ventre, et vous ne pouviez plus respirer. D’accord. Et pendant combien de temps ?
– Oh des semaines. Puis il a fondu.
[« Missa comprendre ! Missa comprendre ! Missa intelligent ! »]
– Vous aviez un calcul dans la vésicule biliaire qui est parti tout seul ?
– Ouais c’est ça, et je pouvais plus respirer parce que ça faisait mal. »

Note pour soi-même : un calcul de la vésicule biliaire ça fait tellement mal qu’on a du mal à respirer.
Note pour missa : c’est pas grave si tu ne comprends pas tout du premier coup si tu es persévérant. Maximax humilité.

trad

J’ai fait patient en LV2 au collège et toi ?