Septmestre

Dans deux semaines, c’est le changement des internes. Nous avons tous repoussé notre rotation semestrielle pour aider le plus efficacement possible dans nos services respectifs. Je quitte celui où je suis actuellement avec l’impression de laisser un bout de moi-même sur place. C’est un crève-coeur absolu, mais résolument nécessaire.

Je l’ai choisi un peu par hasard, je suis arrivée le premier jour en ne m’attendant absolument à rien. J’étais en pleine rechute, et je ne savais même pas si j’allais pouvoir tenir la journée, alors la semaine ou les six mois… A ma grande surprise, ils avaient aménagé un poste pour moi. Alors oui, vous me direz peut-être qu’en situation de handicap il est normal qu’on s’adapte à la personne, mais c’est loin d’être le cas partout. J’en ai déjà souffert plusieurs fois alors je ne pensais vraiment pas avoir ce plaisir là.

Ils ont été incroyables. Ils m’ont accompagnée du mieux qu’ils pouvaient, me laissant le champ libre pour panser mes blessures, tout en m’apprenant tout ce qu’ils pouvaient m’apprendre. J’ai progressivement pu prendre mon envol, bringuebalante sur mes jambes mais faisant de la médecine, une médecine extraordinaire, une médecine de coeur. Je ne savais pas que ce genre de soins pouvaient exister et j’en suis tombée amoureuse. Tout a eu du sens d’un seul coup, mon chemin cahoteux m’a amenée à cet endroit là exactement pour que je puisse vivre cet instant.

J’ai lu quelque part qu’on faisait des choix décisifs qui façonnent notre vie, et que ces choix se comptaient sur les doigts d’une main. Je crois que la décision de venir dans ce service en fera partie. Je sais que je ne serai plus jamais la même personne. Et j’ai eu une chance folle de m’en rendre compte suffisamment tôt dans le stage pour en savourer chaque seconde. Les bons moments ont été époustouflants, les mauvais ont été dévastateurs. Je n’ai eu aucun contrôle sur le maelström d’émotions que je me suis pris en pleine figure, tout était très à vif, très tranché, brut de décoffrage.

Quand je pensais que cela ne pouvait pas être plus spécial est arrivé la pandémie, avec la fermeture de mon unité et la création de celle spécialisée en patients Covid où je suis actuellement. C’était effrayant et excitant. J’ai eu la chance d’avoir des chefs qui m’ont impliquée dans chaque décision, qui ont pris en compte mon avis, qui m’ont fait confiance. J’ai rencontré des personnes merveilleuses que je n’aurais jamais vu en dehors de ce contexte. Nous avons vécu des moments terribles, dans tous les sens du terme. Ces deux mois ont filé à une vitesse impensable.

Je n’ai aucune envie de quitter cet endroit qui a été magique pour moi. Et pourtant, j’ai fait le choix conscient de m’en aller, ne pas reprendre le même stage alors qu’on me proposait de rester et de faire évoluer mon poste pour que je continue à apprendre. Je pars pour mieux revenir un jour, j’espère. Je pars parce que j’ai besoin d’apaiser mon coeur, de digérer tout ce que j’ai vécu en si peu de temps. Je me sens pleine de vie. Je n’ai plus peur de la suite, peu importe mon état, parce que je sais maintenant que des moments comme celui-ci sont possibles. Je ne sais pas si les personnes dont je parle comprendront un jour à quel point cela a été important pour moi, mais moi je ne les oublierai jamais.